Qui n’a pas un jour ressenti la solitude, y compris au travail ? Tout dépend de l’angle de perspective. Mettons aujourd’hui le curseur sur les dirigeant-e-s et/ou responsables en charge d’une équipe, que je dénommerai « leader », qu’il soit un homme ou une femme, et quel que soit le type d’organisation. L’enjeu de mon propos ? …amener tous leaders à changer d’état d’esprit et à considérer la solitude comme un bienfait, à développer la bienveillance envers soi et la qualité de leurs interactions.
Se sentir seul par manque d’affection ou d’amitié renvoie plutôt à la solitude,
tandis que le fait d’être isolé ou déconnecté des autres, avec peu
d’interactions physiques ou verbales, et l’impression de ne pas pouvoir compter
sur l’assistance d’autrui, renvoie plutôt à l’isolement. Il s’agit ensuite
d’affiner son ressenti : réel et objectif ou perçu et subjectif ?
Temporaire, durable ou permanent ?
Géographique, matériel, affectif, intellectuel et/ou spirituel ?
Physique et/ou relationnel ? Recherché et cultivé ou bien subi ?
Nos façons de penser, vivre, travailler et entrer en relation ont été
bouleversées ces dernières décennies. Les employés d’une organisation ne sont
pas seuls impactés par la transformation digitale, l’ouverture au monde, la
crise du coronavirus. Le leader doit également faire face, seul, et
s’approprier les nouveaux usages et nouvelles règles du jeu, et ce dans un
monde d’évaluation de ses performances qui cadencent son quotidien. De plus, il
vit différemment sa solitude selon qu’il dirige une micro-entreprise ou TPE, une
PME ou ETI avec à ses côtés experts et consultants.
Performance, évaluation, concurrence, procédures de contrôle, tirer le
meilleur de chacun, modéliser les comportements, maintenir la compétitivité au
plus haut : « performer » exhorte l’individualisme au
détriment du collectif de travail, étiole la confiance nécessaire à la
coopération. Et c’est la porte ouverte à l’isolement et à la solitude. D’où la
prise de distance de collaborateurs et leaders, confrontés à leurs limites,
leur vie psychique et physique étant atteinte, leurs besoins de reconnaissance
et d’appartenance au groupe n’étant plus satisfaits.
§ Absence de bras droit ou personne de confiance alors qu’il a besoin d’aide. Malgré ses
qualités, talents et compétences, il doit faire face à un changement
d’identité, prendre seul des décisions aux conséquences angoissantes et accepter
des responsabilités qui l’isolent.
§ Temps de travail hebdomadaire avoisinant les 70 heures : peu ou pas de repos ni vacances et négligence
de son hygiène de vie. La surcharge de travail l’isole davantage encore de son
entourage qui ressent alors incompréhension et impuissance.
§ CA et activité en baisse, perte de clients, résultats
déficitaires : la
hantise de tout leader qui ne peut alors pas réinvestir dans le développement
de son business ni sa formation, doit renoncer à certains projets et à se
rémunérer.
§ Fait d’être seul dirigeant et propriétaire de
l’entreprise : statut
fantasmé à tort par son entourage, ses collaborateurs et partenaires qui
projettent sur lui des attentes irréalistes comme « il est sensé tout
savoir et pouvoir, et avoir réponse et solution à tout ! ». Or le
leader n’est ni infaillible ni magicien.
§ Difficultés de recrutement : en a-t-il les moyens ? De toute façon, le
leader sait faire et fait seul, avec ou sans complexe de l’imposteur (« jusqu’à
présent j’étais seul-e à savoir que j’étais nul-le et je suis arrivé-e à le
cacher – maintenant que je prends de nouvelles responsabilités, ça va se
voir ! »), il est fort, se sur-adapte et serre les dents.
§ Fait de vivre seul et de n’avoir aucun confident. Le leader d’aujourd’hui manque de temps
pour faire de réelles rencontres et se cachent derrière son écran. Quant à ses amis
ou famille, ils sont les moins compétents pour le comprendre et l’aider dans
ses choix stratégiques, manquant d’objectivité.
En 2016, l’étude BPI France Le Lab a établi que la solitude des
leaders s’intensifie avec le poids des responsabilités dans un environnement
complexe et incertain.
Le leader a une vie personnelle ! Ses épreuves de vie représentent
autant d’occasions de ressentir (in)directement solitude et isolement à un
moment ou à un autre et à divers degrés, dont certaines ont sans doute laissé
une trace émotionnelle qui donne (in)consciemment une tonalité particulière à
l’exercice de sa fonction de leader.
« Le silence et la solitude nous en apprennent plus sur notre essentiel que n‘importe quel discours, grands philosophes et maitres à penser inclus. Aucun guide extérieur ne nous emmènera jamais si loin, à la découverte de ce que l‘on est, que le lâcher-prise personnel sur toutes les croyances et représentations que le tumulte de la vie forme en nous. » Laurence Witko
Qu’en est-il de la peur, cette émotion de survie qui l’envahit parfois un
peu trop, notamment face à un danger fantasmé, et l’amène à l’immobilisme ou à
la procrastination ? Etonnant ?!
§ Peur d’être soi-même : s’affirmer, prendre sa
place, exprimer ses ressentis, oser être déloyal à certaines valeurs sociétales ;
§ Peur des autres : leur jugement et regard, leur
rejet ou abandon ;
§ Peur de la vie : manquer, perdre, choisir,
décider, agir, avancer ;
§ Peur d’échouer… et de réussir.
La peur est souvent présente dans le quotidien du leader sous la forme
de doute, crainte, confusion, nervosité, anxiété, incertitude, appréhension,
syndrome de l’imposteur, vigilance, agitation, tension, manque de confiance en
soi, dévalorisation de soi…et participe de son sentiment de solitude ou
d’isolement.
Le leader est avant tout un être humain, influencé (in)consciemment par son
cadre de référence qui structure ses pensées, ressentis, comportements,
décisions et actions au quotidien. Tel un ADN composé de son éducation,
histoire, milieu social et culturel, émotions et croyances, expériences et rencontres,
statut et rôles sociaux… en bref : tout ce qui l’a construit et conditionne
sa vision de la solitude, laquelle sera bien différente selon son lieu de vie. Que
révèle notre culture française ? …qu’être seul signifie ne pas aller bien,
n’être pas quelqu’un de bien, inadapté, faible, handicapé, voire puni par la
société. Le regard de l’autre est sans appel : juge, montre du doigt,
dénonce, lance une rumeur… Plus l’on se sent exclu, plus l’on s’éloigne des
autres, plus on leur en veut ! Alors que tout être humain s’est senti ou
se sentira seul un jour, surtout les femmes qui souffrent bien plus d’isolement
associé à l’échec, que les hommes qui l’associent fièrement à la valeur d’indépendance
(Baromètre Fondation de France & Credoc 2020).
Rares sont les leaders à révéler leur solitude en public : ils font
plutôt bonne figure, jouent à superman ou superwoman, veillent sur
leur réputation. Leur idéologie du leadership interdit trop souvent de
s’épancher sur leurs soucis ou affects, comme s’ils étaient anesthésiés par
leur solidité obligée, adressant ainsi à leurs collaborateurs et partenaires le
message subliminal « si vous voulez devenir dirigeant ou leader, faites
face et ne vous plaignez pas ! ». Tabou la solitude…
Tout sauf éprouver la honte ! …ce sentiment d’inadéquation lié au
regard et au rejet de l’autre qui désapprouve notre comportement et condamne
nos erreurs. En lien avec notre histoire, nous l’avons apprise de nos parents
et de la société. La honte s’élabore dans la pensée et déclenche notre
culpabilité, nous amenant à nous attribuer la responsabilité de ce qui a agacé l’autre.
Ce risque symbolique habite plus ou moins tout leader qui veut bien faire
les choses et a fondamentalement besoin d’être reconnu en tant qu’individu et
professionnel qui réussit. Il n’est pas prêt de confier son sentiment de
solitude à quiconque !
Si ses effets auprès des employés d’une organisation sont reconnus en
termes de démotivation, turnover, incidents, ambiance de travail abîmée…, l’on
constate également une dégradation du bien-être et de la productivité du leader
qui se sent seul : peur de l’imprévu, agitation, éparpillement, sur-adaptation,
baisse de créativité, manque de discernement, insomnies, repli sur soi,
dépression… burnout. Cela fait peser de gros risques aux micro-entreprises et
TPE.
Le travail résonne symboliquement en chacun, quelle que soit sa fonction au
sein de l’organisation, et plus fortement encore chez le leader qui engage tout
son corps, sa tête et son cœur, son âme, pour vivre une expérience hautement
nourrissante et épanouissante. Il met tout en œuvre pour s’adapter, transformer
et produire, créer et composer… en fonction de ses aspirations, personnalité,
singularité, compétences. C’est le sens qu’il y mettra qui fera toute la
différence, et la reconnaissance reçue de son entourage personnel et
professionnel qui concourra à l’édification de son identité et lui permettra,
peut-être et en partie, de sortir de sa solitude
En bref : le leader a lui-aussi grand besoin de soutien et
encouragements, écoute et échanges.
« Connaissez-vous les dingues de travail soir et weekend, de bruit et musique, drague et aventures sexuelles, haine et rumination, achats et centres commerciaux, vie associative et agenda bien rempli, Internet et courriels, réseaux sociaux et likes ? L’individu qui a peur de découvrir que sa vie, son travail ou ses relations sont vides de sens a recours à des subterfuges pour échapper à la solitude ». François Delivré
…un rêve de liberté pour certains, une réalité pour d’autres, qui répondraient
à leurs besoins fondamentaux de vivre au présent et de relativiser, qui
seraient l’opportunité de se retrouver en paix avec Soi (et les autres) sans
jamais s’ennuyer, et d’écouter sereinement le silence, le bruit du vent ou le
chant des oiseaux, loin des ruminations de l’âme et de l’agitation du corps, de
cette pression qui nous fait perdre la tête.
Bonnes astuces pour rompre avec la solitude-souffrance et vous relier à la
solitude-bienfait. Car apprivoiser sa solitude et savoir être seul, c’est aller
mieux vers les autres, gagner en discernement, déployer sa créativité, ce
qui procure une tout autre saveur à sa vie professionnelle !
Ø Ouvrez les bras à la solitude : écoutez votre voix intérieure, vos pensées
sombres et lumineuses, vos émotions et réactions corporelles. Quelle histoire
vous racontez-vous ?
Ø Prenez soin de vos peurs et vieux démons, vos craintes de perdre ou manquer, pour
rester en bonne santé.
Ø Identifiez et nourrissez vos différents niveaux
d’identité : dirigeant, manager, équipier, mari, ami…
Ø Evadez-vous 1 heure par jour grâce à des plaisirs corporels (sport, nature,
massage, alimentation, amour), relationnels (interactions avec ses
proches ou pairs, évènements professionnels), intellectuels (lecture ou
écriture, cinéma, exposition, activité artistique), spirituels (méditation,
engagement pour une cause, développement personnel). Répercussions positives à
venir sur vos performances !
Ø Accordez-vous des moments en pleine nature, ici et
maintenant, en conscience : écoutez, observez, contemplez, respirez cette
nature qui a des effets magiques et réparateurs.
Ø Exprimez régulièrement votre gratitude à votre
entourage, avec bonheur et générosité.
Ø Archivez les beaux messages, feedbacks
positifs et compliments reçus : vous êtes bien mieux entouré que vous le
pensiez !
Ø Exercez une action bénévole pour combler votre
besoin de sens et de contribution sociétale.
Ø Stop au « vite, vite, vite » et à la multiplication des activités vides de
sens qui sont une fuite en avant ! Eloge de la lenteur, intensité et
qualité.
Ø Soignez vos nuits et la solitude perdra son impact.
Ø Entourez-vous de consultants, coach, mentor si
vous en avez les moyens.
Ø Rééquilibrez votre agenda : alternez avec justesse les moments seul (repos,
réflexion, projets, décisions) et les phases avec du monde.
Ø Variez les lieux de travail si possible et laissez toute liberté à vos idées.
Ø Suivez 1 à 2 formations courtes par an pour
satisfaire votre besoin d’apprentissage et de relations.
Ø Réfléchissez avec un coach à votre identité et au
sens du travail, puis agissez !
Ø Osez confier vos doutes ou craintes : je ne sais pas, je n’ai pas la solution, je n’y crois
pas, j’ai peur de ne pas réussir, je me sens découragé, dépité, en colère… Accepter sa
vulnérabilité est une vraie force.
Ø Echangez des « bonjour ! »
joyeux, sourires, paroles diverses, invitations à se revoir… et hop, envolé le
sentiment de solitude !
Ø Allez à la rencontre de vos collaborateurs ou
partenaires et discutez en toute simplicité et transparence.
Ø Recentrez-vous sur la qualité des échanges =
connect before correct (Marshall Rosenberg en Communication Non Violente).
Ø Contactez 3 à 10 interlocuteurs par jour pour varier
la teneur de vos échanges.
Ø Télétravail : privilégiez la visio-conférence ou
le présentiel pour plus d’humanité, et réduisez les outils
collaboratifs.
Ø Osez faire confiance, déléguer, sous-traiter,
impliquer autrui, créer de nouveaux partenariats.
Ø Célébrez vos réussites avec les autres, ainsi que vos déceptions, colères,
craintes, car nous sommes d’abord des êtres d’émotions !
Ø Dédiez du temps aux évènements professionnels qui oxygènent l’esprit : networking, afterwork,
déjeuners webinaires, lancements... Ils prennent du temps mais font du bien.
Ø Préférez la solitude à une relation ennuyeuse ou
toxique : les
autres ne peuvent pas combler vos besoins à votre place.
Ø Ecoutez les autres attentivement, y compris leurs objections ou questions dérangeantes.
Se confronter et ajuster vos cadres de référence demande temps et énergie, et
génère de la richesse.
Ø Rejoignez un groupe de pairs ou une association de dirigeants avec lesquels vous
serez sur la même longueur d’ondes.
Ø Posez quelques règles de vie éthiques au sein de vos groupes d’appartenance : la
confiance ne se décrète pas, elle se construit !
Je vous souhaite de transformer votre solitude en de paisibles et ressourçants moments
!
« La solitude ramène en partie l'homme au bonheur naturel en éloignant de lui le malheur social. Au milieu de nos sociétés divisées par tant de préjugés, l'âme est dans une agitation continuelle ; elle roule sans cesse en elle-même mille opinions turbulentes et contradictoires, dont les membres d'une société ambitieuse et misérable cherchent à se subjuguer les uns les autres. La solitude rétablit aussi bien les harmonies du corps que celles de l'âme. » Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre